ESPIONNAGE – Quarante ans après, l’inextricable énigme de l’assassinat du colonel Nut

CPM06 13 février 2023 0

Paul Barelli, exreporter à RMC et ex-correspondant du Monde à Nice, n’a pas cessé depuis quarante ans de chercher la vérité sur l’assassinat du colonel Bernard Nut de la DGSE. Il s’est heurté au secret défense (1).

L’asphalte a recouvert depuis longtemps l’aire de stationnement sur laquelle reposait le 15 février 1983 le corps du colonel Bernard Nut, chef du poste métropolitain niçois de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service de renseignement extérieur de la France. Des travaux ont effacé l’aire de stationnement. C’est là que vers 7h40 deux employés de l’Équipement ont découvert le cadavre de l’officier de la  DGSE. 

Sur le bas-côté enneigé de la route nationale 202, non loin de Rigaud (Alpes-Maritimes), près du carrefour des gorges du Cians, gisait le corps d’un homme d’une cinquantaine d’années. Il reposait face contre le sol, perpendiculairement à une Peugeot 305, les pieds à 15 cm de la roue avant droite. « La tête, constatent les gendarmes, présente un fracas de la boite crânienne, un revolver 357 magnum Smith et Wesson se trouve à 70 cm de la roue antérieure gauche, à 2m-2m20 des pieds.  »

Un  cadavre dans la neige

L’arme contient trois douilles percutées dont deux de calibre 357 Magnum et une, en face du percuteur, de calibre 38 spécial,  ainsi que  trois cartouches non percutées de même calibre. Le contact et l’autoradio de la voiture sont allumés, le réservoir est vide.  Les trois portes passagers sont verrouillées.

Les papiers d’identité révèlent qu’il s’agit du lieutenant-colonel Bernard Nut, directeur d’un « bureau d’étude alpine » à Nice. La couverture, en fait, de cet officier, responsable  du poste niçois métropolitain de recherche de la DGSE. Ce poste couvre le Sud-Est, le Nord de l’Italie et des pays du pourtour méditerranéen.

40 ans après, l’énigme de l’assassinat du colonel Nut apparait encore plus obscure que les jours suivant la découverte du corps. Le 17 février 1983, une source officielle évoque un suicide. Plusieurs journaux contrecarrent cette hypothèse hâtivement évoquée. Le Matin titre : «  le suicide de l’espion deux balles de trop. » Le commissaire Cariven, chef de l’enquête à la PJ de Nice, se fait taper sur les doigts pour avoir dit « la thèse du suicide est la plus séduisante ».

La thèse du suicide s’effondre

Alimentée par la DGSE, elle s’effondrera grâce à des expertises balistiques et à l’opiniâtreté du juge Lasfargue, le premier magistrat qui agit dans le cadre d’une information judiciaire le 10 mars 1983 pour « assassinat ». L’enquête de la PJ s’enlise, ne privilégiant ni le suicide ni le meurtre. Le juge, en colère,  dessaisit  de l’enquête la PJ en mars  1984  au profit de l’antenne niçoise de la Direction de la surveillance du territoire (DST).

Le service de contre-espionnage intérieur démontrera, grâce à des expertises balistiques (cent essais de chute de l’arme) que « le colonel Nut ne peut être l’auteur avec cette arme et ces munitions du coup de feu qui lui a été fatal ». 

En outre, le métal retrouvé dans le cerveau était d’une autre composition  chimique que la douille de 38 spécial restée dans le percuteur. La DST, en dépit de ses efforts, n’est pas parvenue à identifier le ou les tueurs du colonel. L’insoluble énigme aboutit le 1er juillet 1992 à une ordonnance de non-lieu de l’instruction ouverte à Nice pour crime d’assassinat « par préméditation ou guet-apens ».

En février 2008, le fils de l’officier, Bruno Nut, révèle au Monde qu’il a demandé au ministre de la Défense et au directeur de la DGSE de lever le secret-défense. Bruno Nut interpelle les services secrets pour qu’ils « dévoilent enfin la vérité ». Depuis, aucune réponse des autorités.

En 2008, le procureur de Nice, Eric de Montgolfier, estimait « difficile  » la réouverture du dossier : « Même avec des éléments nouveaux, dans la mesure ou  passés dix ans, les faits sont prescrits ».

Le 24 juin 2022, l’avocat de la famille Nut, Me  Francis Spizner, a reconnu  sur RTL dans L’heure du crime la quasi-impossibilité de rouvrir le dossier judiciaire.

Bernard Nut était sur une mission sensible

L’affaire se heurte toujours au secret-défense, quarante ans après les faits. Bruno Nut ne contactera pas les services secrets. « Dans la famille on a été élevé dans le respect de la discrétion », confie-t-il à RTL. Le fils de l’agent secret demeure convaincu que son père a été tué lors d’une mission sensible. L’enquête confiée à la DST le laisse à penser.

Le commissaire Bernard Aufan, qui dirigeait les investigations en mars 1984, avait noué avec l’agent secret des relations professionnelles. Il réaffirme aujourd’hui que quelques jours avant sa mort, Bernard Nut semblait  préoccupé : « Il était sur une mission importante liée au Proche-Orient. Il m’avait demandé de lui fournir des moyens techniques qui préfiguraient une rencontre potentiellement dangereuse. » Bernard Nut souhaitait se procurer un étui de revolver pouvant être placé sous la colonne de direction de sa 305.

Un autre témoignage accrédite cette version. Le colonel Oleg Ionnikoff, ami de l’officier de renseignement, retraité, a raconté à la DST, en 1985, une visite de Bernard Nut, quatre jours avant sa mort. Ce dernier a dit qu’il était sur « une grosse affaire qui allait faire du bruit ».


Fait très singulier et qui ouvre d’autres questions. L’agent Nut avait précisé qu’il ne voulait pas téléphoner de son bureau. Etait-il en conflit avec son service ? Ces proches ne le pensent pas. Cependant, il apparait au fil des méandres de cette énigme que Bernard Nut pourrait avoir été tué par un familier. Telle est la conviction des magistrats. Un familier avec lequel il avait rendez-vous  sur une aire de stationnement enneigée de la RN 202.

L’officier devait être en confiance car aucun professionnel ne prendrait rendez-vous dans un lieu isolé, la nuit, propice à un guet-apens. Bernard Nut a-t-il fait « cavalier seul » ? La réponse à cette question est l’une des clefs de cette affaire. La DGSE s’est efforcée de brouiller les cartes. Pour des raisons de sécurité. La photo de l’officier a disparu durant plusieurs  mois afin de protéger les contacts de Bernard Nut.

Le service a  reconnu officiellement que  l’agent a été tué « en mission » sans préciser qu’elle était la nature de celle-ci.

Assassiné par un familier ?

Force est ce constater que les magistrats du parquet de Nice ne se sont pas laissés manipuler par la DGSE qui, pour des raisons qui lui appartiennent, a donné accès aux enquêteurs à des éléments selon lesquels le colonel Nut était dépressif et pensait au suicide.

La juge Marie-Vianeytte Boisseau qui a délivré le 1er juillet 1992 l’ordonnance de non-lieu d’assassinat par préméditation ou guet-apens écrivait : « Si la DGSE  avait  apporté un certain concours à l’enquête, ce concours n’était peut-être pas absolument neutre ».

Aussitôt après le décès, une des secrétaires de l’agent Nut affirmait que l’officier ne semblait pas dépressif. Quelques jours après elle affirmait le contraire. Dans les affaires de l’officier, des lettres d’amour évoquant son suicide ont contribué à brouiller un peu plus les cartes.

Paul Barelli

(1) Une contre-enquête sur l’assassinat du colonel Bernard Nut. Mémoire de l’Université de Nice i

Portrait Bernard Nut

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