Tel un sinistre métronome, chaque soir, le directeur général de la santé égrène les chiffres de la mortalité du Covid19. C’est un quasi- rituel auquel l’opinion finit par s’habituer. Autre rendez-vous quotidien : vers 20 heures, sur leurs balcons, de nombreux Français applaudissent les soignants, sapeurs-pompiers, ambulanciers, pharmaciens, caissières de supermarché. La liste s’étoffe chaque jour et consacre désormais éboueurs, gardiens d’immeubles, conducteurs de bus de métro, livreurs…
Ce bel élan de solidarité ne justifie-t-il pas un autre hommage, empreint de spiritualité, chacun face à sa conscience, aux morts anonymes du Covid ? Ces derniers, qui semblent réduits à des données statistiques, ne méritent-ils pas que les nations ne les effacent trop hâtivement de la mémoire collective ?
Avec cette pandémie qui tue nous sommes replacés face à la problématique de la mort. D’autant que l’augmentation du nombre de victimes apparait inacceptable aux pays européens qui ont minoré ou sous–estimé les risques de pandémie. En huit semaines, nous sommes passés, en France, d’une dizaine de morts à près de 27 000 liés au coronavirus. Pourtant, « on oublie trop souvent, souligne Martin Julier-Costes, socio-anthropologue à Strasbourg, à l’hebdomadaire de l’est La Semaine, que chaque année, près de 600 000 personnes décèdent en France, soit près de 50 000 par mois. C’est un simple constat. Des décès qui ont aussi des conséquences sur les proches, sur les rapports sociaux, etc. »
L’opinion mondiale restera hantée par cette comptabilité macabre. Les proches des victimes éprouvent la sensation qu’elles sont mortes isolées, oubliées. La mort, ajoute le chercheur, « quand elle est relativement absente de notre quotidien comme c’était le cas avant l’épidémie pour nous Occidentaux et avant les périodes d’attentats, et qu’elle survient, elle nous perturbe toujours. On ne peut pas s’y habituer parce que cela irait à l’inverse de la définition de l’être humain. Nous sommes mortels. Cela nous taraude, nous fait réfléchir tout comme cela nous active ».
Nous n’oublierons jamais ces images de ce médecin de l’est épuisé, en larmes face à une salle de réanimation ne pouvant plus accueillir de malades. D’autres images sont plus encourageantes : celles de soignants applaudissant la sortie d’un malade rescapé.
Les morts anonymes et tous ceux qui souffrent, en ce moment, dans leur chair du Covid-19 méritent mieux que de nourrir les statistiques. De rester des matricules inscrits dans les services de réanimation.
« Honorer les morts c’est leur éviter de mourir deux fois ». Cette phrase d’Elie Wiesel, relatives aux victimes de la Shoah, conserve, toutes proportions gardées, son humanisme…
Paul Barelli