Max Clanet, journaliste d’investigation, signe un livre singulier sur la résilience. « L’Encre de la liberté » (1) relate l’histoire véridique d’un ancien condamné qui, après onze ans de réclusion, est devenu artiste-slam.
ENTRETIEN
Max Clanet, les membres du Club de la presse 06 vous connaissent bien. Vous êtes un journaliste auteur de plusieurs ouvrages d’investigation. Vous avez mis en exergue dans « Secret d’État » (2) la thèse d’une erreur de tir de missile à l’origine de la catastrophe Ajaccio-Nice qui a fait 95 victimes le 11 septembre 1968 au large du cap d’Antibes. Cette thèse a été retenue comme « crédible » par le magistrat instructeur. L’Elysée a ordonné la déclassification d’une partie des archives nationales concernant le crash de cette Caravelle. Autre ouvrage d’investigation : « Blessures de guerre » (3). Le 15 février 1989, une violente explosion détruit un bâtiment de cinq étages dans le vieux Toulon. Le bilan est de 13 morts et 32 blessés. L’immeuble était baptisé « Maison des Têtes ». Au terme d’une enquête de six ans, la catastrophe ne sera jamais officiellement élucidée. En 2009, Max Clanet reprend l’enquête à la demande des familles de victimes. Il accède à des documents inédits et retrouve des témoins jamais entendus. Le constat est accablant : cette enquête jamais conclue constitue incontestablement un déni de justice.
Club de la Presse Méditerranée 06. Pourquoi avez-vous décidé de faire ce récit tout à fait différent ?
Max Clanet. C’est au cours d’une Fête de la musique que mon épouse et moi avons croisé Pagan qui se produisait sur une scène de fortune. En écoutant ses chansons j’ai ressenti chez l’artiste de la tristesse mais aussi de la force, j’ai voulu en savoir davantage. C’est à partir de cette soirée que nous avons décidé lui et moi de relater son parcours hors norme. Au fil des mois, il m’a raconté sa jeunesse, son parcours carcéral, ses projets, avec beaucoup d’honnêteté.
CPM06. Le personnage central, c’est Romain, dont la vie aurait pu se résumer à onze ans de prison pour complicité dans l’assassinat de la députée Yann Piat. Condamné et incarcéré. N’est-il pas l’exemple d’un cheminement réussi après la prison ?
Max Clanet. Son parcours constitue un modèle pour les condamnés qui voudraient sortir du cercle infernal de la criminalité. Romain est entré en prison à l’âge de 19 ans et il a su intelligemment gérer ses onze ans de réclusion. Il a évité les contacts néfastes, il a travaillé, il a œuvré pour parfaire sa réinsertion et je peux même dire qu’il est allé au-delà, on peut parler de résilience. Le jeune Romain est devenu un autre homme : Pagan, un artiste-slam qui donne aussi des conférences sur l’univers carcéral et anime des ateliers au bénéfice de jeunes en difficulté. « Tout ce que l’on a fait pour moi, je le fais maintenant pour les autres », répète-t-il souvent.
CPM06. Pour lui la bande de « baby killers » a été manipulée dans le cadre de l’affaire Yann Piat ?
Max Clanet. Le livre ne concerne pas cette terrible affaire, néanmoins Romain l’a évoquée puisque c’est à la suite de ce drame qu’il est entré en prison en 1994. Romain n’a pas versé le sang, il n’a fait que guetter l’arrivée de la victime le soir des faits sans savoir que quelques kilomètres plus loin, deux de ses amis de l’époque allaient tirer sur elle. Il n’a appris le drame que le lendemain par les journaux. Néanmoins, tout au long de son parcours judiciaire, Romain a assumé ses responsabilités dans les différentes affaires pour lesquelles il a été condamné, quarante ans de détention en totalité. Comme il le dit lui-même : « Si on n’assume pas ses fautes, on ne peut pas évoluer vers la résilience ».
CPM06. Ce livre, c’est aussi le parcours d’un jeune qui découvre la rue et ses lois en vigueur dans le monde cruel des voyous varois ?
Max Clanet. Romain a vécu une jeunesse chaotique et il m’en a parlé avec beaucoup de sincérité. À 15 ans il a quitté l’école pour se retrouver embrigadé dans un groupe d’ados un peu perdus qui prenaient pour modèle les anciens truands toulonnais. Peu à peu, « la bande du Macama » est montée en puissance sous l’égide d’un patron de bar qui en retirait les bénéfices. C’était l’argent roi, la vie facile, les rêves de quelques gosses un peu paumés qui n’avaient pas été épargnés par les affres de la vie. Au fil des années, ils ont gravi les échelons de la délinquance : vol de motos, bagarres de rues, cambriolages de villas, trafic de cigarettes… Ensuite ils sont montés d’un cran en incendiant un restaurant. Et puis il y a eu cette tragique soirée au cours de laquelle deux de ses amis ont commis l’irréparable : un assassinat.
CPM06. Comment ce jeune homme a-t-il tourné définitivement la page de la criminalité en entamant sa reconstruction ?
Max Clanet. Le jeune Romain n’a pas voulu brûler sa vie au fond d’une cellule moisie. Il a rapidement compris qu’il fallait qu’il s’en sorte par le haut. Il a commencé à lire, à écrire des poèmes, à composer des chansons… Pendant des années il a passé ses journées dans les bibliothèques à dévorer les œuvres des philosophes, des classiques… Il faisait aussi beaucoup de sport et grâce à sa conduite exemplaire, il a pu travailler à l’intérieur de la prison. Puis, il s’est consacré à la musique. Il a donné son premier concert en 2003 au sein du Centre de détention de Muret. À partir de là, son chemin était tracé. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle en 2005 et, surtout, il n’est pas retombé dans la spirale de la récidive. Aujourd’hui, à 46 ans, c’est un homme totalement neuf qui raconte son passé avec beaucoup de lucidité, mais qui garde au fond de lui une pensée pour les victimes en sachant que cette cicatrice ne se refermera jamais.
CPM06. Quelle est la leçon de ce témoignage singulier ?
Max Clanet. D’un point de vue judiciaire, le parcours de Pagan constitue un modèle de réinsertion réussie. Mais son parcours va au-delà, c’est une histoire forte, humaine. Il signifie qu’après une condamnation, un homme peut rebondir à condition qu’il le veuille et qu’il ait une vraie volonté de s’en sortir. Pagan déborde d’activités artistiques, il prépare la sortie d’un disque et nous enregistrons le livre en version audio. Nous avons aussi écrit tous les deux le film de son histoire qui sera une adaptation cinématographique de « L’Encre de la liberté ». Pagan suit maintenant son chemin : chansons, écriture de scénarios… La prison, les affaires, la délinquance ne sont plus que des souvenirs lointains. Il a définitivement tourné la page. C’est un homme neuf et comme je l’ai inséré au début du livre, je reprendrai sa phrase « La prison, c’est l’école de la récidive, mais moi, j’ai fait l’école buissonnière ».
1) L’Encre de la liberté, Max Clanet et Pagan, aux Éditions La Boîte à Pandore, 2021.
(2) Secret d’État, Éditions Ramsay, 2008.
(3) Blessures de guerre, Éditions Le Spot Info, 2014.